"Depuis ce matin, il existe une nouvelle façon de lire la presse en France. Et depuis ce matin, « Les Echos », quotidien fondé en 1908, est accessible sur un nouveau support électronique : l'iPad. L'arrivée en France de la tablette d'Apple - déjà lancée avec un grand succès aux Etats-Unis -inaugure certainement une nouvelle époque dans le développement des médias. Un changement qui pourrait être aussi important que ce qu'a représenté naguère le Web pour notre industrie. Avec, cette fois, davantage d'effets positifs."Les espoirs sont grands. Mais l'ipad sera t'il vraiment le sauveur de la presse et de l'édition ? Ne se pourrait-il pas au contraire que l'arrivée de l'iPad - mais aussi des liseuses électroniques en général, Kindle en tête- accélèrent leur perte ?
Le fait est qu'une offre pirate de livres et de magazines gratuits existe bel et bien. Il est possible de télécharger les magazines les plus populaires et un bon paquet de livres sans payer un kopeck. Et il n'est même pas nécessaire d'être un pirate expert pour y arriver, il suffit d'utiliser Google. Tapez "téléchargement de magazines gratuits" et tous vos vœux seront exaucés : Le Monde, l'Equipe, Capital, Géo... ils y sont tous au format pdf.
Le téléchargement de magazines, journaux et livres en pdf n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau c'est l'iPad et l'ensemble des lecteurs d'eBook qui offrent un confort de lecture inégalé pour le format papier. Les portes sont grandes ouvertes pour tous les pirates, il n'y a plus qu'à se servir.
Dès lors, qu'est-ce qui fait croire à la presse et l'édition qu'ils réussiront mieux que l'industrie du disque u celle du cinéma à vendre leur fichiers numériques là où en en trouve déjà un bon paquet "gratuitement" ? N'est-ce pas un brin optimiste, on pourrait se le demander.
Quoi qu'on en dise, les ventes de cd baissent, le téléchargement pirate de mp3 augmente et le téléchargement de mp3 légal ne parvient pas à limiter les pertes du secteur. Alors pourquoi le téléchargement légal de livres ou de magazines au format numérique pourrait-il contrecarrer le piratage dans les mois à venir ?
Les signes rassurants
- un accès aux œuvres légales facilité : il y a dès à présent une grande facilité d'accès légal aux livres et magazines numériques. Côté livres, Apple et avant lui Amazon et son Kindle ont mis le feu aux poudres avec leurs Store ou les livres et journaux sont téléchargeables en un clic.
La concurrence à l'iBooks Store d'Apple ou à ceui d'Amazon existe aussi. Et parfois même depuis plus longtemps encore : Numilog, la Fnac, Sony, Mobipocket (aujourd'hui propriété d'Amazon) etc... Cette émulation tire certainement le marché vers le haut même si le mastodonte Apple aujourd'hui archi-dominateur sur la musique a de quoi inquiéter ses petits camarades.
A titre de comparaison, il est interessant de constater que les premiers mp3 music stores sont apparus sur Internet en 2000 (Sony a été le premier à dégainer avec un flop total et des morceaux vendus plus de 3$ l'unité) soit 15 ans après l'éclosion du marché du CD (avec la diffusion record de l'album "Brothers in arms" de Dire Strait). Autant dire que pendant ce temps là, le réflexe de téléchargement sur les réseaux P2P (Napster notamment) s'ancrait définitivement dans les mœurs.
Le marché du livre numérique n'aura pas attendu aussi longtemps pour positionner des alternatives crédibles au P2P. L'iBooks Store d'Apple émerge en même temps que l'apparition de supports de lecture (iPad, Booken, Sony readers etc...)grand public (c'est à dire vendu en masse et à des prix abordables (soit 150 euros les premiers prix de lecteurs eBooks). Côté magazines il en va de même avec notamment les boutiques numériques de Relay ou de Lekiosque.
- une offre pirate encore peu structurée : là où il existe de véritables réseaux organisés pour la diffusion de films ou de musique sur les réseaux de P2P ou de DDL, très peu de groupes de pirates francophones (voir d'ailleurs à ce sujet cet article éclairant du blog littéraire Actualitte.com) de livres ou de magazines sont suffisamment organisés pour proposer une offre "de qualité".
Les exemplaires sont scannés de façon artisanale. Certaines pages ou paragraphes entiers viennent ainsi à manquer. Les livres ou magazines de grand format ("L'Equipe" par exemple) ne sont pas scannés avec une définition d'image suffisante pour une lecture nette sur iPad, le texte est flou etc...
Cette rareté n'est pas étonnante. Il n'est pas facile de scanner un livre ou un magazine page par page. De surcroit, l'audience n'était pas encore au rendez-vous : les propriétaires de lecteurs d'ebook francophones sont encore relativement rare.
De fait, les contenus francophones se font eux aussi rares sur les réseaux P2P. Paradoxalement, ces livres et magazines francophones sont plus répandus sur les sites de Direct Download appelé aussi DDL (Megaupload, Rapidshare...). Cette différence peut s'expliquer par le fait que ces sites rémunèrent les contributeurs pirates qui voient ainsi leur dur labeur de scannage récompensé même avec une faible audience.
Mais en contrepartie, ces sites de DDL sont bien moins ergonomiques et pratiques que els réseaux P2P (emule, bittorrent) pour les internautes téléchargeurs. Ils ne proposent pas de moteur de recherche interne si bien qu'il faut passer par un site tiers pour accéder aux catalogues de liens vers les précieux fichiers pdf. Ces sites sont criblés de pubs envahissantes (pop-up multiples) et leur apparence globale n'inspire pas confiance à l'internaute lambda. De plus le process de récupération du fichier est fastidieux : il faut souvent 4 ou 5 étapes puis un temps d'attente imposé par le site de DDL pour pouvoir enfin télécharger son fichier.
- l'apparition de formats innovants : loin d'en rester à un simple fichier pdf, de nombreux magazines ont décidé d'en donner plus à leur lecteurs numériques. On a ainsi vu le magazine "techno-utopiste" Wired proposer une version multimédia et interactive de son mag papier (J'en ai fait une petite démo sur YouTube ici). Résultat : 24.000 exemplaires vendus dans le monde en 24 heures. A titre de comparaison, l'édition mensuelle papier de Wired s'écoule à 82.000 exemplaires uniques dans les kiosques et compte 672.000 abonnés. (voir l'article complet ici sur le site de Wired) De très bons résultats donc, qui démontrent qu'il y a une place pour les formats innovants qui vont plus loin que le papier statique. Notons également que l'édition iPad de Wired était vendue au même prix que le mag papier.
Time Magazine prépare également une nouvelle version iPad enrichie en vidéo notamment. Les premières critiques sont dithyrambiques. De même, en France l'Equipe Mag propose depuis quelques jours sur l'Apps Store une édition gratuite et adaptée à l'iPad de son mag papier du samedi. Les critiques sont bonnes puisque l'éditeur a fait plus que se contenter de balancer un simple pdf à feuilleter.
La musique n'a pas la chance de pouvoir en faire autant. Là ou la musique fait appel à un seul de nos sens - l'ouïe - la lecture fait appel à 3 sens : la vue, le toucher et l'ouïe également. C'est largement suffisant pour proposer une expérience ludique et multimédia faite à base de texte, de musique et d'interactions tactiles surprenantes.
Il est interessant de constater que les groupes de presse français sont armés pour cette évolution. L'Equipe dispose d'une chaîne TV, d'un partenariat avec RTL, de photographies de qualités. Il ne reste plus qu'à ... réinventer le métier d'éditeur pour proposer un mix original de l'ensemble.
Le groupe BFM dispose des mêmes armes. Et, si Mr Niel, le patron de Free arrive à mettre la main sur LeMonde, il y a fort à parier pour que le quotidien du soir soir suive l'exemple.
Reste plus qu'à espérer que les éditeurs de livres pourront suivre le même exemple et proposer un contenu multimédia en plus du texte... même si cela dénaturerait un peu le concept même de "lecture de livre". Ceci dit, il y a en ce moment même, un livre électronique de très bonne qualité sur l'histoire du débarquement à télécharger gratuitement sur l'Apps Store. Il mélange à la fois mp3, vidéo et texte avec un certain succès.
- une offre à prix compatible
Expérience douloureuse pour l'Equipe il y a quelques jours : ils ont "osé" proposer la version iPad du quotidien plus cher au numéro qu'en kiosque. Retour de bâton immédiat : l'appli a été descendue en flèche par 99% des testeurs.
Cette petite anecdote rappelle simplement que les internautes sont maintenant habitués à se voir proposer une baisse de prix conséquente. Là ou un disque coutait 20 euros, sa version numérique est désormais proposé à 9,90 euros. Un prix psychologique si bien ancré dans les mœurs qu'il sera difficile pour la presse et l'édition de ne pas proposer la même décote sous peine de devoir subir la comparaison... à moins de proposer une version considérablement enrichie comme Wired l'a fait.
Côté magazine, il y a donc toujours une place pour le bon vieux pdf statique et antique, à condition de consentir à une baisse de prix radicale. Le marché semble se stabiliser autour de 0,79 cts par édition (prix en partie imposé par les restriction d'Apple sur son store). C'est moins que la réduction généralement consentie sur le marché de la musique mais le coût étant très proche de 0 euro, l'effort était aussi plus important à effectuer. 0,79 sera probablement un juste prix amené à s'imposer avec le temps.
Pour ce qui est du livre, il ne semble pas y régner la même orthodoxie monétaire. Bien sûr, une étude complète du positionnement tarifaire de tous les éditeurs demanderait un autre billet à part entière mais la première impression est plutôt nette. Voyez plutôt...
J'ai relevé 3 livres, parmi les 3 best-seller de l'Apple Store
"Tous ruinés dans 10 ans" de Jacques Attali. L'oeuvre de l'ancien sherpa de Mitterand est proposée à 11,99 euros en numérique contre 15 euros sur Amazon soit à peine 3 euros de réduction.
"Mélancolie française" de Eric Zemmour est proposé à 12,99 euros contre 16,15 sur Amazon. c'est le même écart et le même éditeur, c'est à dire Fayard.
"Le dernier mort de Mitterand" de Raphaëlle Bacqué est à 13,99 euros contre 17,10 sur Amazon aux éditions Albin Michel qui suit la même décote. L'avenir nous dira si le public est prêt à troquer le plaisir d'un livre que l'on peut partager avec ses amis et revendre d'occasion pour une économie de 3 euros... j'en doute. (On pourrait rétorquer que si ces livres sont en première place sur l'iBooks Store c'est qu'il se vendent bien. Ce serait exact... mais la place de numéro ne dit rien du nombre de livres vendus... peut-être qu'une centaine suffit ?)
A noter que des modèles économiques interessants existent du côté de la presse numérique. LeKiosque ou Relay proposent ainsi des forfaits de lecture illimités pour environ 17 euros par mois ainsi que des système de crédit qui abaissent considérablement le prix unitaire du magazine pour peu que l'on soit un gros lecteur.
Les signes inquiétants
Malheureusement, le tableau n'est pas non plus idyllique. De nombreux points noirs existent. Passons les en revue...
- la guerre des DRM et des formats
Inévitablement, tous les intervenants sur le marché cherchent à imposer leurs règles afin de devenir le roi de la jungle et des formats. Ainsi, la stratégie du Kindle d'Amazon est des plus instructives... sur ce qu'il ne FAUT pas faire. Comme l'avait déclaré Jeff Bezos, le patron de Amazon, le kindle est "DRM-agnostique", voulant signifier par là que le Kindle est neutre. C'est aux éditeurs qu'est laissé le choix de protéger ou non leurs oeuvres avec des DRM.
Chaque éditeur fait donc sa loi sur un support unique ! Certains lecteurs ont ainsi eu la désagréable surprise de ne pas pouvoir télécharger 2 fois le même livre, de ne pas pouvoir le distribuer à des amis, de ne pas pouvoir le lire sur un autre reader ou sur un autre support (PC, iPhone, Blackberry...). Bref, la même et longue histoire que celle des DRM pour la musique qui sont aujourd'hui presque de l'histoire ancienne.
On a ainsi d'un côté le format .mobi du distributeur Mobipocket, le DRM d'Apple pour l'iPad, le DRM d'Adobe... une vraie jungle au détriment du consommateur.
- oubliez vos scanners
DRM ou pas, il est clair que la démocratisation du livres électronique facilite désormais son partage. Inutile de passer de longue et fastidieuses heures à scanner un livre puisque c'est l'éditeur lui même qui le fait à votre place. Et dans des volumes autrement plus conséquents. Résultat direct : tous ces fichiers vont inévitablement se retrouver sur les réseaux P2P. (Les DRM seront probablement aisément cassées, cela va sans dire, c'est le jeu du chat et de la souris).
Cela est d'autant plus inquiétant que pour le moment les cadors de l'édition ne proposent rien de plus que des pdf améliorés comme on l'a vu plus haut. Une vraie incitation au piratage tant que des support plus originaux ne seront pas proposés. Ainsi les versions iPad des Echos, de l'Equipe, de la Tribune, du Monde ou du Figaro pêchent toutes par excès de simplicité : un pdf et voilà. Ils ot la chance de pouvoir changer d'orientation dès maintenant sinon ils risque fort de connaitre de grandes désillusions.
- pas de spectacle vivant
Malgré les chiffres croissant du téléchargement de films, le nombre d'entrées au cinéma (et pour les comédies musicales) a battu des record l'année dernière en France. Cela s'explique aisément par le fait que le cinéma est une occasion de sortir entre amis, de partager un bon moment, un resto. C'est un loisir convivial et qui offre une qualité supérieure de confort (grand écran, 3D etc...).
Il en va de même avec les concerts pour la musique. Ils ne désemplissent pas. Pour les même raison que le cinéma. C'est une expérience différente, humaine. Mais qu'elle est l'alternative pour les livres ou les magazines ? Il n'y en a pas. Aucune chance pour l'édition de se refaire sur un autre pôle d'activité. Elle n'a pas le droit à l'erreur. Inquiétant non ?
Conclusion
Le chance du marché de l'édition en ligne c'est qu'il émerge en même temps que les vecteurs de sa démocratisation (iPad, Kindle, etc...) car les éditeurs n'ont pas attendu avant de faire le premier pas contrairement à ce qui s'est passé pour la musique ou le cinéma. C'est une chance pour l'édition qui prend ainsi le taureau par les cornes dès maintenant.
Malheureusement, maintenant que l'audience est là, le piratage risque de se structurer rapidement avec un accès simplifié à des œuvres francophones. D'autant que les éditeurs de livres ne semblent pas jouer le jeu des prix bas et de l'interopérabilité.
1 commentaire:
Très juste sur toute la ligne, je partage ton scepticisme ou, au moins, ton interrogation...
Je ne sais pas si c'était mesuré mais Apple a fait un très bon coup marketing en s'annonçant comme le sauveur de la presse. L'ensemble des quotidiens et magazines se sont alors empressés de lui faire une publicité monstre, partisane et gratuite, fallait y penser ! :)
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